Son expérience, son statut et son réseau incomparable font de Maurice Lévy un observateur privilégié des mutations engendrées par le Covid. Après un an de pandémie, le président du conseil de surveillance de Publicis décrypte les nouveaux comportements des consommateurs, invite à ouvrir les yeux sur “les effets pervers d’un système qui a profondément dégradé notre tissu économique”, et se fait le chantre d’un capitalisme plus responsable, assurant une meilleure redistribution des richesses.
L’Categorical : Le publicitaire que vous êtes prend en permanence le pouls de la société. Après un an de pandémie, dans quel état se trouve notre pays ?
Maurice Lévy : Je dirais qu’en dépit du soutien considérable de l’Etat pour amortir le choc, et malgré un bilan sanitaire moins dramatique qu’aux Etats-Unis ou en Angleterre, le ethical des Français me paraît plus atteint qu’ailleurs. Je l’explique d’abord par une défiance généralisée à l’égard de la parole et de l’autorité publiques. Défiance qui s’était installée bien avant la pandémie mais qui s’est sans doute accentuée en raison des incohérences et de la communication maladroite dans la première part de la pandémie. Le deuxième élément d’explication, c’est que le virus a agi comme un révélateur implacable de nos carences et de nos faiblesses. En se comparant à nos voisins, en découvrant au début de l’épidémie que nous manquions de masques, que nous n’étions plus capables de fabriquer suffisamment d’appareils respiratoires, en mesurant aussi les lourdeurs de notre bureaucratie, la complexité de nos circuits de décision, nos concitoyens ont fini par ressentir un doute profond : que se passe-t-il dans notre pays ? Nous sommes donc tellement en retard ? La prise de conscience est douloureuse…
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Toute la query est de savoir sur quoi peut déboucher cette prise de conscience collective…
Il est toujours potential de corriger le tir. Mais cela suppose du braveness et de l’honnêteté dans l’ensemble de la classe politique. Ce qui nous saute aux yeux aujourd’hui est, en réalité, dénoncé depuis des années par des économistes à qui l’on reprochait leur alarmisme. Le second est venu de se réveiller et d’engager les transformations nécessaires, sans laisser croire que nous pouvons continuer à dépenser de façon illimitée. Il est également temps d’ouvrir les yeux sur les effets pervers d’un système qui a profondément dégradé notre tissu économique, et plus particulièrement notre industrie. Ce système, c’est la course au moins cher, l’offre la plus basse au consommateur l’invitant à acheter des produits à faible valeur ajoutée. Et la conséquence, pour l’industrie, c’est le flux tendu everlasting, sans espace de respiration, qui conduit à étrangler nombre d’intermédiaires, encourage la focus des acteurs, les délocalisations, et nous a rendus dépendants comme jamais d’usines installées à l’autre bout de la planète. C’est tout cela qui nous a explosé à la determine depuis un an ! Qu’on me comprenne bien : il ne s’agit pas de jeter la mondialisation avec l’eau du bain, mais de rééquilibrer les choses en rapatriant un sure nombre d’activités essentielles et en investissant dans les secteurs d’avenir. La France a besoin d’un tissu industriel divers, complexe, complet.
“Un patron doit être paranoïaque”
Pour la plupart des managers, la crise sanitaire a été une expérience absolument inédite, qui les a amenés à repenser en un temps file non seulement leur modèle d’affaires, mais aussi la façon de travailler de leurs collaborateurs. Quels enseignements en tirez-vous ?
Face à une secousse aussi brutale, il faut souligner l’extraordinaire réactivité, l’incroyable adaptabilité des entreprises et de leurs salariés, qui ont basculé en quelques jours dans un tout autre univers de travail. Si, globalement, les choses ont pu se passer aussi bien, c’est que, depuis quelques années déjà, les entreprises ont appris à mieux gérer les risques et les crises. Parallèlement, le bien-être au travail est devenu une valeur très importante, qui les a conduites à mieux appréhender les problématiques nouvelles, comme les enjeux de conformité, de santé ou de société – harcèlement ethical, sexuel, ou tout ce qui a trait aux questions de race, de faith, de style – a progressivement conduit les entreprises à renforcer leurs règles, à investir de nouveaux champs. Le bien-être au travail est devenu une valeur très importante. Dans l’urgence, les managers ont donc pu réagir plus vite qu’ils ne le pensaient eux-mêmes. Ils n’étaient pas totalement démunis, d’autant que la technologie était accessible.
C’est vrai sur le plan de l’organisation interne. Mais pour beaucoup, la mise sous cloche généralisée de l’activité était un scénario inimaginable. La pandémie, de ce level de vue, a révélé la vulnérabilité de nombreux secteurs. Il faudra bien en tirer des leçons. Remark se préparer à l’impensable ?
Personnellement, j’ai toujours vécu sur le qui-vive. Un patron doit être paranoïaque. Pas pour lui-même, mais pour son entreprise… Toujours, tout le temps. On ne peut pas diriger correctement une société si on n’est pas angoissé pour sa survie, sa sécurité et sa compétitivité. La state of affairs que nous venons de vivre est inédite, c’est vrai, mais elle nous livre un enseignement intemporel : la gestion du risque, quel qu’il soit, suppose d’avoir des fondamentaux extraordinairement solides. Cela veut dire une tradition d’entreprise – la colonne vertébrale -, un bon produit qui vous différencie de la concurrence. Et bien sûr, une santé financière à toute épreuve, qui passe par le revenue et les dividendes. Je le souligne automobile ce sont des notions souvent vilipendées en France. Or, bien rémunérer ses actionnaires est essentiel si l’on veut pouvoir compter sur eux en cas de coup dur. Quand on s’appuie sur un socle aussi robuste, on peut faire face à tous les risques possibles, depuis la perte de marché substantielle, jusqu’à des événements inattendus qui obligent l’entreprise à se replier sur elle-même.
Diriez-vous que le monde actuel, toujours plus complexe, et la prise en compte de risques inédits demandent un nouveau profil de patrons, de décideurs ?
Il y a eu un grand renouvellement ces dernières années. La nouvelle génération de patrons est très impressionnante. Je pense à des dirigeants comme Doug McMillon, de Walmart, à Mary Barra chez General Motors, ou plus près de nous à Carlos Tavares (Stellantis), Luca de Meo (Renault), Alexandre Bompard (Carrefour), ou Jean-Paul Agon (L’Oréal)… Tous m’impressionnent automobile ils repensent les fondamentaux, la modernisation de leurs entreprises en se demandant : “Est-elle suffisamment contemporaine” ? Il fut un temps où il suffisait de rafraîchir un peu un produit, de changer son packaging pour lui donner une nouvelle jeunesse… C’est fini. Aujourd’hui, il faut innover, se réinventer en permanence. J’ajoute un autre marqueur : la nouvelle génération de patrons se despatched beaucoup plus responsable par rapport à l’environnement, à la société, et ce n’est pas une posture. C’est ancré profondément en eux, même si ce n’est pas par conviction écologique ou humaine ; ils se rendent simplement compte que c’est désormais une nécessité absolue pour être en part avec leurs consommateurs, leurs collaborateurs…
“Délivrons enfin le certificat de décès de Milton Friedman”
Cette approche “responsable” se limite encore trop souvent à la définition de la “raison d’être” des entreprises. Concrètement, remark peut-elle modifier les relations et les comportements entre acteurs économiques ?
Je crois que l’entreprise de demain sera plus solidaire, et plus attentive à son écosystème. Qu’a-t-on appris avec cette crise ? Que nous faisions partie d’une longue chaîne, comportant de nombreux maillons, et que si l’un d’eux cassait, c’était la chaîne tout entière qui rompait. La première responsabilité d’un donneur d’ordre est de soutenir tous les maillons. Ne pas le comprendre, c’est vivre dans l’ancien monde et avoir une imaginative and prescient obstruée par le court docket terme. Quand L’Oréal décide de payer ses fournisseurs en avance, ou de soutenir les salons de hairstyle, c’est pour préserver son écosystème. Il y a quelques années, l’ancien PDG de Coca-Cola, Muhtar Kent, a fait exactement la même selected en revitalisant ce qu’il appelait le “système Coca-Cola”, à savoir l’ensemble des partenaires vivant de ses produits. La démarche a généré une énergie extraordinaire, et c’est ce qui a contribué à relancer l’entreprise. Il faut encourager les solidarités de ce kind au sein de chaque filière.
Un capitalisme responsable, c’est aussi un capitalisme plus inclusif, contribuant à réduire les inégalités, lesquelles se sont encore creusées avec la pandémie. Remark s’attaquer à ce problème majeur ?
Le capitalisme responsable repose sur un sure nombre de valeurs avec lesquelles on ne peut qu’être d’accord : il faut respecter l’environnement, la personne, il faut être plus divers, respecter les gens pour ce qu’ils sont quelles que soient leurs origines, leurs croyances ou leur orientation sexuelle… Tout cela va dans le bon sens. Mais l’enjeu central, la mère des batailles, est la lutte contre les inégalités. Il y a deux façons de s’y attaquer. L’une consiste à augmenter les impôts, mais ils étouffent la France. Les expenses pèsent considérablement, le poids des inactifs devient prohibitif. Notre économie déjà affaiblie ne le supporterait pas. D’un autre côté, les capitalisations boursières s’envolent – celles des Gafa en particulier – et les détenteurs d’actifs financiers s’enrichissent de façon spectaculaire. Il faut se poser la query très simplement : remark faire en sorte que ces richesses soient mieux redistribuées ? Pour moi, la réponse est toute trouvée : en intéressant plus largement, et de façon plus systématique, les salariés aux résultats de leur entreprise. En favorisant la distribution d’actions au personnel, en les associant aux décisions qui les concernent. Cela semble aller de soi, mais les entreprises qui font ce choix, aujourd’hui, sont pénalisées automobile les dispositifs de ce kind pèsent sur leurs résultats, donc sur leur valorisation boursière. Une réflexion globale doit impérativement s’engager pour faire évoluer les normes comptables et encourager ces pratiques plus solidaires. Délivrons enfin le certificat de décès de Milton Friedman ! Le second est venu d’enterrer définitivement ses thèses. Elles étaient peut-être valables dans les années 1970-1980, mais sont aujourd’hui totalement dépassées.
Des vies moins superficielles
Il a beaucoup été query du “monde d’après” au début de cette pandémie, avec l’idée que la crise allait changer profondément nos comportements de tous les jours… Avec un an de recul, quelles tendances sociétales voyez-vous émerger ?
Il y a d’abord le retour à la famille. Les confinements ont pu être des expériences douloureuses, mais ils ont également permis aux gens de redécouvrir leurs proches, leur lobby. Les enfants ont vu davantage leurs mother and father à la maison. Bien sûr, certains couples se sont déchirés, certaines familles se sont disloquées, mais beaucoup se sont ressoudées. C’est probablement la selected la plus importante. Parallèlement à cela, il y a la redécouverte du “je fais” : je fais la delicacies, je bricole, je fais les programs, de la pâtisserie… Le do it your self est de retour, et je pense qu’il s’agit d’un phénomène sturdy. D’une façon générale, je crois que nous sommes tous demandeurs d’authenticité. Dans un premier temps au moins, nos vies seront moins superficielles, moins sophistiquées ; la dimension émotionnelle va prendre le dessus sur la dimension utilitariste.
Vous ne parlez pas du retour au native…
La redécouverte de la proximité est une réalité, c’est vrai. Mais je n’y crois qu’à moitié. Le changement est réel pour les produits bio, par exemple. Les consommateurs sont plus sensibles que par le passé à l’origine des aliments, à leur composition, parce que leurs attentes ont évolué, mais aussi parce qu’ils prennent le temps de faire les programs. Je fais moi-même les programs, j’ai toujours aimé ça ; j’observe la clientèle. Je n’ai pas de chiffres précis mais je peux vous garantir que les comportements n’ont rien à voir avec ce qu’ils étaient avant le Covid. Avant, c’était le rush ! Malgré cela, je crains que le prix reste un élément discriminant et finisse par enrayer ce “retour au native”. A moins que l’on s’attache à “éduquer” le consommateur. Il y a plusieurs façons de le faire. D’abord, l’encourager à consommer français. L’Etat ne peut pas le faire. Les règles de l’Union européenne l’en empêchent. Mais rien n’interdit aux producteurs hexagonaux de vanter leurs produits. Je crois aussi qu’il faut être beaucoup plus sélectif sur les labels. Ils fleurissent en tout style, ce qui rend leur lecture difficile pour l’acheteur. Enfin, si on veut réhabiliter le native, il faut raccourcir certains circuits. De nombreuses expériences récentes peuvent servir de laboratoire : il faut pouvoir répliquer le succès du drive ou de l’e-commerce à l’échelle des artisans et des petits commerçants. Aux Etats-Unis, notre shopper American Categorical nous a demandé, il y a quelques années, de l’aider à lancer le “Small Enterprise Saturday”… Sorte de réponse au Black Friday, centrée sur les commerces de proximité. Cela a créé un engouement spectaculaire et leur a redonné une grande vigueur pour le reste de l’année. Pour peu que des acteurs aient envie d’y mettre les moyens nécessaires, on peut imaginer des initiatives de ce kind en France afin de faire redécouvrir le petit commerce.
Selon vous, à quoi ressemblera la sortie de crise ? Croyez-vous, comme certains, au scénario des “Années folles” ?
Il y aura une envie de vivre, de dépenser, de faire la fête. Mais cela ne durera qu’un temps, j’en ai peur. Automotive il va y avoir deux réveils. Le premier, c’est que l’argent du “quoi qu’il en coûte” va cesser de couler. Il y aura beaucoup de faillites hélas, et le chômage va s’aggraver. Le second motif d’inquiétude, c’est la state of affairs de notre jeunesse, probablement le sujet le plus grave. J’ai aujourd’hui plus de 75 ans, et je n’hésite pas à le dire : plutôt que de vouloir préserver à tout prix les gens de mon âge, je préférerais que l’on se préoccupe du bien-être de la génération à venir.
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