Sa vie et celle de sa sœur ont chaviré le 16 mars dernier lorsque leurs parents ont disparu sur l’île de Madère alors qu’ils s’accordaient quelques jours de repos après de longs mois de travail. Johanna Blond, âgée de 27 ans, a accepté de témoigner sur France Bleu Occitanie à quelques jours de la réouverture annoncée de la boulangerie de ses parents à Beaumont-de-Lomagne. Elle raconte avec émotion la vie de ses parents, leur dévouement à leur famille et leur acharnement au travail.
La jeune femme était en vacances avec eux quand ils ont disparu, c’est elle qui a donné l’alerte ne les voyant pas rentrer d’une randonnée. Deux corps ont été retrouvés la semaine dernière sur l’île, mais l’identité formelle n’a pas encore été révélée. La piste accidentelle est privilégiée.
France Bleu Occitanie : Johanna, comment faites-vous pour tenir debout ?
La journée, je suis très bien entourée. C’est triste à dire, mais la journée, le cerveau fait beaucoup de tri. Le moment du soir est le plus dur, quand on se retrouve seule dans sa chambre et qu’on se rend compte que toute sa vie a volé en éclats en l’espace de quelques instants. C’est très dur de savoir qu’on va grandir sans ses parents parce que même si je suis adulte je reste jeune.
Je trouve ça relativement violent de se retrouver privée de ses deux parents du jour au lendemain. Mais je sais que je vais rester forte pour eux, parce qu’ils auraient voulu que je vive ma vie à fond et c’est ce que je vais essayer de faire. Je vais essayer de réaliser tous mes projets et je vais essayer de faire au mieux pour leur faire honneur.
Les corps n’ont toujours pas été formellement identifiés. Commencez-vous malgré tout votre deuil ?
Oui, dès que mon ami m’a contactée [un ami rencontré sur l’île de Madère qui a découvert le premier corps, ndlr] j’ai beaucoup pleuré forcément et dans un sens ça nous a aussi soulagés parce qu’on s’est dit que c’était la fin d’une terrible attente. Malheureusement, ce n’est pas l’issue qu’on aurait souhaitée, mais on pense à d’autres familles de disparus dont les corps n’ont jamais été retrouvés à Madère. On s’estime entre guillemets chanceux de pouvoir avoir des réponses et de pouvoir faire une sépulture décente.
Comment expliquer que l’identification formelle soit si longue ?
Je pense qu’au vu des corps et de leur état, je pense que ça peut prendre du temps pour faire les prélèvements ADN et comprendre ce qu’il s’est réellement passé en détail. Savoir s’ils sont tombés, si le décès a été causé par la chute ou par autre chose.
La piste accidentelle est privilégiée par les enquêteurs sur place. C’est votre sentiment ?
Oui, pour moi, c’est vraiment un accident très malheureux de deux personnes qui sont allées se promener et qui n’ont pas estimé à sa juste valeur la randonnée qu’ils ont commencé à faire. Ils ont sans doute sous-estimé le terrain. Il y avait une petite zone avec pas mal de boue et le vide juste à côté, apparemment, on les aurait retrouvés juste en bas de cette zone-là. Donc on suppose qu’ils ont glissé dans la boue et sont tombés.
Imaginez-vous que l’un d’eux est tombé et que l’autre lui a porté secours ?
Oui, tout à fait, c’est exactement l’idée que je me fais de la situation. À mon avis, il y en a un qui a glissé, et l’autre a voulu le rattraper et est tombé aussi en même temps.
Vous avez décidé de rouvrir leur boulangerie ce lundi 15 avril ?
Avec ma sœur, on a fait le choix de mettre en place un mandataire judiciaire pour qu’il puisse prendre certaines décisions à notre place parce qu’on n’avait pas forcément le cœur d’être mêlées à tout ce qui est administratif pour la boulangerie. Il a été convenu que la boulangerie rouvrira ce lundi 15 avril avec de nouveaux horaires, on ne pourra plus être ouvert jusqu’à la fin de journée comme auparavant.
C’est important de rouvrir le commerce de vos parents ?
D’un côté, ça me déchire le cœur de savoir que ce commerce va rouvrir sans mes parents, parce que pour moi, cette entreprise ne peut pas vivre sans eux. D’un autre côté, c’est un fort message qu’on veut faire passer à tout le monde et surtout à mes parents qui je pense nous regardent de là où ils sont. Ils seraient fiers de voir tout ce qu’on a réussi à accomplir.
Rouvrir cette boulangerie, c’est un peu les laisser vivre aussi avec nous donc c’est un beau message qu’on veut faire passer à tout le monde. Ce commerce va continuer à vivre un petit peu, il ne sera pas aussi bien ou aussi efficace, l’âme va changer un peu, c’est certain. On a des salariés qui sont dédiés à cette entreprise et je les remercie tout particulièrement, pour leur dévotion et leur courage.
Vos parents tenaient cette boulangerie depuis sept ans après une reconversion professionnelle ?
Mon père a été salarié toute sa vie, il avait beaucoup travaillé à la chaîne dans des usines souvent en travaillant de nuit donc ça nous a aidés financièrement. Il s’est beaucoup sacrifié pour nous, pour nous apporter un confort de vie. À 50 ans, il a décidé de changer sa vie pour devenir son propre patron. Maman travaillait en tant que préparatrice en pharmacie jusqu’à la reconversion de papa.
Mon père a réalisé son rêve de devenir boulanger et il a fait des études, il a réussi. Ma mère a renoncé à son emploi pour rejoindre mon père à Beaumont-de-Lomagne. Ce n’était pas forcément une vie idyllique, parce que c’est dur d’être chef d’une entreprise, mais en tout cas ils étaient ensemble et ça leur suffisait.
Comment parlaient-ils de leur métier ?
Ils en parlaient tout le temps. Il n’y avait pas une seule minute de leur vie où ils ne parlaient pas de leur travail. Mon père avait toujours des idées de nouvelles recettes, ça le tenait en haleine, il était passionné et je pense que ça s’est ressenti dans la qualité de ses produits, son pain était de qualité.
Beaucoup de clients vous ont envoyé des messages de soutien ?
Oui, je remercie tous ces gens à qui je n’ai pas forcément répondu en direct parce que je n’en ai pas toujours la force. J’ai reçu beaucoup de messages d’amour et de soutien, de beaux messages qui décrivent le caractère de mes parents et je me rends compte que les gens ont vraiment réussi à les cerner, ça me fait chaud au cœur.