Alors que je zonais sur Twitter par une énième journée de confinement maussade me demandant encore quelle sale nouvelle nous allions apprendre en 2020 (interdiction de la vente d’alcool, invasion extraterrestre, retour de retraités en politique?), l’algorithme du réseau social, sans doute soucieux d’arrêter de voir flemmarder pour reprendre mon activité, m’a soumise à un de ses posts, multi-likés par mes pairs. Une citation d’André-Georges Haudricourt, le père de l’ethnobotanique. “N’importe quel objet, si vous l’étudiez correctement, toute la société vient avec”. Génie absolu de cette formulation. Si easy et en même temps, tellement évidente. Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ? Entré en 1939 dans la part botanique du CNRS pour intégrer six ans plus tard le département linguistique, André-Georges Haudricourt n’a eu de cesse, durant sa vie, de dresser des ponts entre les sciences humaines et naturelles. Et c’est au cours de son séjour de deux ans au Vietnam, débuté en 1948, qu’il s’est intéressé à la “charrue”. Un easy “objet”, devenu l’event d’analyser les relations les hommes et les animaux et les methods d’agronomie dans un ouvrage dédié au sujet.
Ni une, ni deux. La bamboche, c’est terminé. Place à l’expérimentation. Et si j’interrogeais ma TL ?
Pour vous, au quotidien (et hors masques), quel est l’objet le plus emblématique du confinement ?
— Anne-Claire Ruel (@AnneClaireRuel) November 10, 2020
C’est alors que l’insoupçonnable est arrivé. En interrogeant mes semblables, je ne m’attendais à rien. Mais les réponses, tant par leur nombre (plus d’une centaine) que par leur qualité (les verbatims associés), m’ont interpellée. Un grand merci à tous les répondants. Voici donc quelques uns des éléments qui me sont parvenus et que j’ai tenté de classer (Roland Barthes likes this). Je précise pour les puristes que bien évidemment, rien n’est scientifique dans cette démarche. Détendez-vous.
Attestation et gel hydroalcoolique, les “laissez-passer”
Ah l’attestation… Sésame pour la liberté… Du moins, pour une fuite provisoire de cette petite expérience carcérale des familles qu’est le confinement. Symbole de la contrainte exercée par l’Etat sur notre liberté, l’attestation nous renvoie à l’idée de soumission volontaire à la loi (“l’attestation de déplacement dérogatoire model papier que je remplis sagement comme un petit enfant qui lèverait le doigt en classe pour demander la permission d’aller faire pipi” m’écrira un des répondants). En model numérique ou papier, l’attestation s’impose comme l’élément “totem” de cette période étrange dont on connaît bien la date de graduation tout en ignorant parfaitement celle de fin. Pierre Lefébure, maître de conférences en science politique à l’université Paris 13, chercheur au laboratoire Communication et politique (LCP-IRISSO), a eu la gentillesse de répondre à ma query lancée à la volée. À juste titre, il décrit ce laissez-passer comme une “sorte de fétiche doté de pouvoir, help de discours performatif (je peux sortir parce que je l’écris)”. En d’autres termes, produire l’énonciation c’est exécuter l’motion, au sens de John Austin, le philosophe anglais bien connu des communicants (qui le citent volontiers sans jamais l’avoir lu). D’ailleurs le pouvoir du mot “attestation” est si puissant qu’il s’impose en termes de référencement. Tapez “attestation” dans notre oracle à tous Google et… abracadabra ! La web page du Ministère de l’Intérieur apparaîtra en premier. D’ailleurs le terme “abracadabra” viendrait d’une transformation de l’araméen “évra kedebra” qui veut dire “je créerai d’après mes paroles“. John Austin likes this. La boucle est bouclée. Ce mot semble doté de “pouvoirs magiques” à défaut d’être thaumaturgique comme semble l’être le “gel hydroalcoolique”. Omniprésent dans la sphère publique, le gel fait lui aussi determine de laissez-passer tacite avant de pénétrer dans un magasin. Il rejoint en cela l’attestation. Parfois partagé entre amis, il est le symbole d’une nouvelle forme de fraternité dans cette lutte contre cet ennemi de l’intérieur qui s’attaque à notre conception même de l’intimité. Il peut même s’avérer être une marque d’élégance et un signe manifeste de politesse envers les personnes qui nous sont plus éloignées, participant ainsi à l’ensemble de règles qui régissent le comportement à adopter en société.
Joggings et survêts, les “laisser-aller”
Quoi de plus paradoxal que de mettre un jogging, symbole de la course à pied, de l’anglais jog signifiant sautiller, pour évoquer cet uniforme distinctive (et il faut le dire bien pratique) en cette période statique de télétravail à la maison. Finie la représentation extérieure, l’obligation de paraître ou de se rendre désirable. Aujourd’hui que nos corps sont soustraits de la sphère publique et du monde du travail en présentiel, nos tenues se sont adaptées pour être plus confortables même si parfois, les visios nous obligent à un effort (que celui qui n’a pas dit “je vous rejoins dans deux minutes sur Zoom” en tentant d’enfiler la première chemise trouvée à proximité me jette le premier dislike). Ces joggings (aussi appelés par certains “survêts”) peuvent être associés à d’autres éléments cités par les répondants : des “chaussons” aux “pantoufles”, des “babouches d’intérieur” aux “grosses chaussettes”, des “pyjamas” et “peignoirs” aux “plaids”… Soit des “fringues moches et confortables”. Celles que vous ne porteriez pas à l’extérieur sous peine de célibat prolongé, même s’il est vrai qu’elles peuvent s’avérer de parfaits moyens de contraception. La victoire par KO du fonctionnel sur l’esthétique (“J’ai découvert le kiff de travailler en chaussons/grosses chaussettes, leggings et tee-shirt ample et tout doux. Je veux plus jamais travailler autrement” m’écrit un répondant). Lors du premier confinement, il y a 120 ans en années ressenties, j’avais interrogé Elodie Mielczareck, sémiologue, spécialiste du langage, sur le fait que notre corps, invisible pour trigger de confinement, était pourtant sur-représenté sur les réseaux : chorégraphies sur Instagram, problem sportif et même injonction à ne pas se laisser aller, notamment pour les femmes… le corps était partout on-line. Elle m’avait alors répondu que “l’expérience du confinement c’est aussi celle d’un corps qui se dégage de ses obligations symboliques quotidiennes, liées au rituel et à la représentation : le maquillage, le port du soutien-gorge, les habits impeccablement repassés, le costume, la cravate, tout cela sont des habitus, au sens bourdieusien du terme, que la caméra de la visio conférence vient parfois réactiver, mais qu’on peut se permettre de laisser de côté pour un temps. C’est peut-être ce décalage qui explique le succès des vidéos évoquées : parce que nos corps sont moins soumis à la contrainte de l’motion et de la représentation, le fait de visualiser un autre réaliser ces challenges me permet, mimétiquement, de réhabiter mon corps symboliquement.” Une nuance à apporter toutefois : si le jogging semble s’être imposé, le “tapis de yoga” fait partie des objets qui ont été le plus cités. “Mes proches et moi, on est plein à s’y être mis automotive le télétravail a permis de dégager du temps” m’écrit-on. Un verbatim à rapprocher des objets mentionnés qui brillent par leur absence tels que le passe Navigo. Ou quand l’absence de transport permet finalement de dégager du temps pour prendre soin de soi.
Cafetières et horloges, les “séquenciers” de temps
Symbole par essence du travail à la maison, la “cafetière” peut être rapprochée de la “théière” ou bien encore de “l’ordinateur”, du “smartphone”, de la “barre de son” ou du “casque micro”, des “oreillettes bluetooth” voire du “casque anti-bruit”… Soit tous les objets lié au travail qui ont aujourd’hui envahi la sphère personnelle, créant de fait une zone grise, un espace-temps sorte de continuum distinctive entre la vie professionnelle et la vie personnelle, espace familial et univers de travail. Les répondants associent d’ailleurs l’utilization de la cafetière à une sur-utilisation et donc consommation de ce produit venu d’Ethiopie, passé par le Yémen pour arriver au Caire où les étudiants l’utilisaient comme moyen de rester éveillés. En plein confinement, certains répondants associent au café une autre fonction que la stimulation : la mesure du temps (“sorte d’horloge approximative des séquences de la journée de télé-travail”). Une utilisation qui s’approche de celle de “l’horloge murale de la delicacies”, également citée, “qui sert à découper le temps, le temps qui reste avant le soir, les rendez-vous de boulot, les deadlines, les séquences de la journée (jeux/sortie/repas/devoirs/télétravail), l’heure de prendre son traitement. La preuve que le temps passe malgré tout”. Il est bien là le défi : prendre la mesure du temps qui nous échappe en confinement et réinventer un bureau à la maison et des rituels sans céder à la musturbation. Le terme est anglais et vient de should (devoir) qui consiste à se mettre une forme de pression irréaliste pour faire. Albert Moukheiber, docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien, m’avait expliqué ce phénomène lors du premier confinement : “Le confinement devrait faire comprendre à tout le monde qu’on remplit le temps que l’on a. Donc si j’étends mon travail sur cinq jours, je me dis que c’est unimaginable de passer à quatre. Et si en fait j’essaie et je suis forcé de passer à trois, je réalise que je fais quand même mon boulot”. D’ici la fin du confinement, nous devrions donc être tous extremely efficaces et ne presque plus bosser. Enfin, en théorie (j’écris ce papier un dimanche, je vais reprendre du café je crois).
Le vin et les jeux, les “échappatoires” au temps
Une selected est sûre, au vu des réponses reçues, cela ne risque pas d’être la crise du côté de votre caviste bio de centre ville de métropole française. Vous savez, celui qui vous suggest toutes les semaines, “ce petit vin naturel fruité et généreux, souple aux notes de cerise, gingembre et coquelicot, comme un coucher de soleil en été”. Autant mettre tout de suite fin à un suspens insoutenable : oui, les cavistes sont les nouveaux baristas. Mais, comme ils ne peuvent pas vous dessiner de fleurs avec de la mousse de lait, ils utilisent des métaphores imagées pour mieux toucher vos petits coeurs sauvages et confinés. Tout aussi hispters que les spécialistes de la préparation du café, ils sont étudiés par la même faune d’essayistes ou d’ “universitaires Instagram” (je dépose par ce put up le copyright de cette expression) qui renouvellent en profondeur la recherche à power de… images d’eux postées à longueur de journée sur leurs réseaux. À côté de ces antianxiolitiques, un antidépresseur est également cité par les répondants : le “chocolat”. Mais aussi la “weed” ou bien encore le “xanax”. Il faut dire que ce confinement, en s’attaquant à notre géographie personnelle, nous oblige à nous confronter à notre propre finitude et à faire face à l’incertitude. Pour Albert Moukheiber, le confinement est “une scenario inconnue et donc incertaine et quand on est incertain, on peut avoir des pensées qui vont très très vite pour essayer de prédire. Le cerveau, c’est un peu un organe prédictif. On est toujours en practice d’essayer de prédire et d’adapter. Plus on est familier avec quelque selected, plus nos prédictions sont meilleures, plus on s’adapte vite. Moins on est stressé, moins on a toutes ces pensées qui nous agressent. Plus on est dans une scenario nouvelle, plus nos algorithmes prédictifs ont besoin d’apprendre pour prédire le nouvel environnement. Ce n’est donc pas la meilleure période pour être cool, zen, affected person avec les autres, and so on.” CQFD. Amis lecteurs, on se rejoint tous à 18h pour notre séance collective de kundalini on-line. Je ne sais pas pour vous, mais moi, mon chakra coronal, ce n’est pas vraiment ça. J’ai à tout prix besoin d’élever mon taux vibratoire avant de plastiquer l’appartement de mes voisins avec qui, visiblement, nous ne partageons pas la même conception du confinement. Mais en conscience… Parmi les autres échappatoires identifiés : les “livres” (c’est bien easy, en France, on a 60 thousands and thousands de sélectionneurs de l’équipe de France et autant de lecteurs), les “jeux vidéos” (ou de société, quand on ne peut plus “faire société” justement), la “télévision” (réinvestie parce que “le besoin de couper avec l’ordinateur a provoqué la réhabilitation du help télévisuel et de son écran plus reposant”), le piano et même les boules de pétanques d’intérieur… Tout ce qui permet de se divertir entre deux apéros Zoom dont les vins ont été sélectionnés par Hugo, votre nouveau caviste bio.
Oui, je sais, je devrais évoquer les ustensiles ou électroménagers de delicacies qui ont aussi été cités (“pinceau”, “poêle”, “cuisinière”, “4”, “machine à ache”) ou bien encore le “lave-vaisselle”. Ce dernier est devenu pour ses heureux détenteurs un véritable symbole d’aliénation plus que d’émancipation. Tels des Sisyphe, nos répondants semblent s’atteler sans relâche à la tâche de cuisiner, nettoyer (balayer, astiquer) (parfois avec le sentiment de recréer “la cantine à la maison avec trois mecs à l’appétit gargantuesque, en remplacement pour chacun, selon les âges, du restau U, de la cantine scolaire et du catering”). Mais ce qui me paraît plus intéressant à observer en guise de conclusion, ce sont les dynamiques contraires à l’oeuvre entre un intérieur subi et pourtant parfois apprécié (soit le “salon”, le “canapé”, ces nouveaux lieux de sociabilité tout à la fois imposés et réhabilités -surtout depuis que les enfants sont de retour à l’école-) avec l’extérieur (désiré et pourtant supply d’anxiété). Un extérieur incarné par la “porte de l’immeuble” au “pâté de maison” en passant par le jardin (quand on a la likelihood d’en avoir) un avec ce “citronnier” dont on ne s’est “jamais autant occupé”. Un extérieur auquel on accède physiquement by way of des connecteurs à l’instar du “vélo” pour aller au boulot, de “ce chien” qui type quatre fois plus qu’en temps regular ou de ce “sac de course, totem de la liberté”. Voire le Malabar “qui avait le rang de produit essentiel et justifiait une sortie quotidienne en famille à la boulangerie”. Et entre l’intérieur et l’extérieur, une sorte de trait d’union symbolique : “la fenêtre”. Avec parfois son lot de surprises qui peuvent prêter à des éclats de rire : “ce n’est pas tant un objet (qui symbolise mon confinement) mais une imaginative and prescient : celle du crâne chauve de mon voisin en télétravail qui dépasse de la fenêtre” m’écrira ainsi une répondante. Les dunes du Pilat ou presque. Évasion. Flaubert écrivait : “la fenêtre, en province, remplace le théâtre et les promenades”. À Paris, exit les spectacles. Pour le prix de votre loyer parisien inchangé, vivez tous les jours des soirées bisontines. Dépaysement garanti. Finalement, avec ce confinement, une seule certitude dans l’incertitude : nous sommes tous devenus provinciaux.